Les clés de la bagnole

Les clés de la bagnole

C’était un pont, au dessus d’une voie ferrée. Il pleuvait, pardon, il bruinait. Nous étions un weekend de 15 août et mu par un instinct animal, je réfléchissais à des astuces économiques pour améliorer mon chez moi à l’approche de l’hiver.  J’avais enfourché mon vélo, une hirondelle, issue des chaudrons de Saint-Etienne. Le vélo de la police quand elle portait encore des capes, comme des super héros. Les moustaches en plus. Je profitais d’un répit météo pour passer entre les gouttes et me rendre au temple du bricolage qui se trouvait près de chez moi. 

J’arrivais sur le dit pont et il y avait cette voiture noire. Une petite voiture noire qui était en warning. Et une tête, et des mains, qui s’agitaient à l’intérieur. Personne ne s’était arrêté pour savoir ce qu’il se passait. Elle était mal placée, et les autres voitures la doublaient sans visibilité, trop pressées d’arriver. Mais qu’importe, qui aurait l’idée de s’arrêter pour se mêler de ce qui ne le regarde pas ?

Je m’arrêtais donc à la hauteur du conducteur. De la conductrice en fait. Elle hurlait. Elle suffoquait. Elle hoquetait. Elle couvrait d’injures une personne au téléphone. Elle le menaçait, le traitait de sauvage à s’en faire péter les cordes vocales. 

Je sentais bien que ma présence n’avait pas été officiellement remarquée. Je tapais à la fenêtre mais elle me fit signe qu’elle gérait la situation. En fait ses larmes et ses hoquets me signifiaient, eux, qu’elle ne gérait pas grand chose. Alors je fis ralentir la circulation pour éviter un accident. Je gardais une oreille tendue. Vus les décibels de rage déployés à travers l’habitacle,  je comprenais que « il » était parti avec les clés. Qu' »il » l’avait laissée au milieu du pont. Qu' »il » lui avait mis « un coup de rétro au visage ». Elle hurlait de plus belle. « Il » raccrochait. Elle rappelait pour l’invectiver encore plus fort et pour réclamer les clés de la bagnole, avec une menace qu’elle n’avait pas mis réellement à exécution : « la police arrive ».

A défaut de cavalerie, j’ai accroché mon vélo au pont. La voiture ne pouvait pas rester au milieu. Je lui expliquais la situation entre deux coups de téléphone. Mais le bon Samaritain est parfois sourd et je ne voulais pas entendre que les roues ne pouvaient être tournées. Alors je poussai la voiture pour lui faire rejoindre le parking en contre bas. Après avoir réclamé, en courant à coté de la voiture, qu’elle veuille bien freiner, la voiture parti tout droit. Et je me rappelai alors que sans les clés, le volant se bloque. Quel imbécile je faisais. Je me raccrochais au fait qu’elle était quand moins exposée.

Elle rappela « il » . Elle avait 20 ans et des poussières. Elle donnait de la voix. Une brune, assez grande. Il lui raccrocha au nez. Je lui demandai où elle vivait, si elle avait des proches dans le coin. Sa sœur. Sa sœur allait venir. Elle cherchait son souffle. Elle portait un legging et chemise ample. Elle avait l’intonation populaire qui me rappelait les filles du quartier dans le sud. Et la rage qui pouvait les animer parfois.

Je me remis à faire la circulation, sans cape, ni sifflet. Enfin quelqu’un s’arrêta. Il avait l’air suspicieux. Avec son accent des pays de l’est, il cherchait à comprendre ce qui se passait, et moi je comprenais le ridicule de la situation. Comment expliquer simplement que la dame était dans une voiture sans clés au milieu de la route, et que si elle était dans cet état, je n’y étais pour rien. 

Au loin s’avança alors une montagne. Elle était sur le pont et se rapprochait. Pendant que je parlais, je tournais plusieurs fois la tête, méfiant, pour identifier la menace. Et je savais, à chacun de ses pas, que c’était « il ». Lui avec les clés de la bagnole. Le gars de l’est me dit alors « Ah, son mari ! » et démarra sans demander son reste. Misère de misère. Mais pourquoi fallait il que ce soit une montagne. . . Pourquoi fallait-il toujours que ces types soient des costauds hors catégorie ?

Son regard noir et menaçant se porta sur moi. Et c’est toujours menaçant qu’il préféra diriger son attention sur elle. S’en suivit alors un dialogue de sourds à base de « passe moi les clés, connard » et « Sors de la voiture » avec un « connasse » en sous-entendu explicite. Le type me demanda de partir en me remerciant, sans y croire, mais je ne partais pas. Et je ne savais pas si j’avais raison. Elle sortit, se jeta sur lui. Elle donna des coups pour sortir sa colère. Il la repoussait, il s’en contenait devant ce témoin que j’étais de leur vie mal conjuguée. Ça pouvait péter n’importe quand. Et moi au milieu, venu avec mes petits bras qui se demandait si un dieu avait eu la bonne idée de nous glisser dans le cerveau une technique en cas d’urgence pour maîtriser un gars comme ça. Surtout quand on n’a fait que tennis en sport.

Mon mètre 71 ne ferait pas le poids contre Golgo 13. Et je n’avais pas la fronde de David pour étaler Goliath. Un Goliath en jogging fuseau, sale et moulant ce qu’il considérait sûrement être sa virilité. Coiffé selon le code des footballeurs : long en haut, bien gominé et rasé sur les côtés. En définitive, valait-il mieux vaincre mal sapé ou s’effondrer avec un peu de style ? Et si pour une fois, quand les types de 70 kg parlaient, ceux de 120 pouvaient les écouter ? 

Pas très confiant, je lançais, en levant la main comme à l’école, un courageux : « Monsieur, il faut vraiment déplacer cette voiture, c’est dangereux où elle est. » 

C’était presque faux évidemment mais, miracle, le pugilat prit fin. J’avais au moins évité qu’il lui en colle une et qu’elle lui crève les yeux. Pour l’instant en tout cas. Il monta dans la voiture, démarra en trombe, lança un doigt d’honneur à la demoiselle et fila en faisant crisser les pneus.

On est restés plantés tous les deux comme des cons. Elle sans voiture, et moi, merdeux, avec l’incertitude de l’efficacité de mon action. Sa sœur, elle, devait venir la prendre quelques minutes après. Je me proposais d’attendre avec elle. Après tout, je n’étais plus à une minute prêt et j’avais toujours ma mâchoire. « Inutile de rester » me dit-elle. Quand je suis repassé avec mon vélo, elle n’était plus là.

L’homme de l’autre côté de la rue

L’homme de l’autre côté de la rue

En avril 2017, j’ai repris la plume pour une très courte nouvelle. Une amie m’avait convaincue de participer au concours qui se tenait à l’occasion des Rencontres culturelles d’AltaLeghje en Corse. Le thème était « une étrange rencontre »… La voici.

Chère amie, voilà bien longtemps que je ne donne plus de mes nouvelles, et vous me répondrez à juste titre que la réciproque est vraie. Le temps passe si vite et le quotidien nous a éloigné il y a déjà bien longtemps. Mais sachez qu’il y a peu, une rencontre troublante dans une rue de Paris, a provoqué l’envie de vous écrire. Je l’espère, cette fois-ci, sans la moindre colère. Je marchais sur le trottoir de la ville renaissante dans le printemps. J’admirais le ciel bleu qui se montrait enfin. Le soleil faisait de son mieux pour nous redonner la chaleur qui nous manquait depuis de longs mois. C’est là, au coin de la rue de la Cossonnerie et du boulevard Sébastopol, que je l’ai vu. Je n’avais pas remis les pieds dans ce quartier depuis votre départ. Nous y avions passé de si bons moments. Et malgré mes efforts pour dissiper les mauvais, mon amertume à votre égard reste si vive encore aujourd’hui. J’évite, au temps que faire se peut, de raviver le moindre souvenir vous concernant. Pourtant, la vie est ainsi faite, je me retrouvais là, avec cet homme sur le trottoir d’en face. Au début, je n’y ai pas vraiment porté attention. Pourtant son visage me disait quelque chose. Il ressemblait à tous ces gens que l’on croise, dans toute les grandes villes du monde. Il n’avait rien de différents des hommes qui marchaient plus ou moins vite sur le même trottoir que lui. Une veste sombre et trop petite, une barbe poivre et sel, des lunettes à large monture, bien loin des binocles d’acier de nos pères. L’avais je rencontré au travail ? A moins que ce ne fut dans ce bar que nous fréquentions à l’époque ? Il avait du ventre mais pas trop. Un ventre en fait qui aurait pu être un bidon de bière. Celui que l’on finit par obtenir à force de fêtes et d’excès, sûrement. A moins que ce ne soit celui des soucis que l’on garde à l’intérieur de soi. Avec la force de gravité découverte par Newton, le poids de ce ventre attirait inexorablement ses épaules et sa tête vers le sol. Je me surprenais à l’observer, stoppé net dans mon élan par cette vision. Je cherchais son nom pendant qu’il attendait que le ciel vienne le sortir de là ou le bus, tout simplement. Son air triste me parlait-il ? Cette homme sans l’ombre d’un doute avait la trentaine, mais faisait plus vieux. Plus mature ou plus atteint. Il fumait une cigarette roulée par ses soins, qu’il n’a pas terminée, parce que comme les autres, je suis sûr qu’il pensait moins fumer grâce à ce subterfuge grossier. Il devait faire ça pour arrêter, c’est évident. Mais dans ce geste, dans cette attitude transparaissait une absence totale de volonté. Il buvait, il fumait et, chère amie, je vous met mon billet que cet homme comptait ses cheveux le soir devant le miroir. Sous sa veste, il continuait de porter ce pull acheté au glorieux temps où sa taille était plus svelte, si cela lui était arrivé un jour. Il a réalisé un jour que le temps passait. Ce visage me disait quelque chose. Je ne sais plus où nous nous étions vus la première fois. Était-ce dans ce pub de Londres, un soir de mai ? Ou non, c’était peut-être les vacances, oui, pendant les vacances à Calvi, sur le quai du port ? Je finissais pas désespérer que la mémoire me revienne. Je savais, je savais car j’avais son nom sur le bout de la langue. Mais rien ne me revenait. Mon cerveau me donnait la sensation que mon cerveau était en train de se contracter, d’essayer de forcer toutes les portes possibles pour retrouver ce nom. Je fouillais dans tous les tiroirs de mes souvenirs… mais rien. Ma frustration était énorme. J’avais envie de crier, un peu. Mais vous le savez, chère amie, cette attitude ne me ressemble pas. Et ce type attendait son bus de l’autre côté de la rue. Il se moquait bien de mon désarroi. Je sais que vous pourriez me dire : “Mais mon pauvre, pourquoi n’êtes vous pas allé lui parler ? Pourquoi ne pas lui avoir demander si vos routes ne s’étaient pas croisées ?”. Ainsi, ma chère, je serai passé pour un fou. Je sais que cela ne vous aurait pas déplu, et je ne tenais pas à vous donner raison. Je pris une inspiration profonde et fermais les yeux. Un sorcier moderne m’avait appris à faire le vide dans mon esprit en trois profondes respirations. A nouveau, je le regardais. Peut-être que si j’arrivais à sonder son regard, je trouverai une bribe de souvenir ? Ce genre de chose m’arrive régulièrement, je l’avoue. Je croise des gens, je les connus de vue mais je ressens comme un étrange malaise quand eux m’appellent par mon prénom. Moi, le leur me reste interdit derrière une brume opaque. Je me sens alors honteux de leur accorder si peu d’importance au point de ne pas connaître leur identité. L’individu qui se tenait devant moi, lui, c’était un peu différent. En fait, je n’étais plus sûr que nous nous soyons déjà rencontrés. C’est une juste une sensation. Après tout, des barbus aux cheveux savamment décoiffés avec d’épaisses lunettes, on en croise partout dans la rue, surtout aujourd’hui. Il était finalement possible qu’il n’ait jamais croisé ma route. Il me faisait peut être juste penser à cet ami de faculté, avec qui j’avais partageais rire et ivresse, et dont le nom a disparu comme mon passé ? Je le regardais. Chère amie, ma frustration ne disparaissait pas. Qui était cet homme ? Et puis soudain, il leva les yeux vers moi. Nous nous fixions comme deux statues. Son mal être chère amie m’a envahi d’un coup. Un choc comme le retour d’une claque qui aurait mis trop de temps à revenir, au point d’en avoir oublié l’aller. Quand j’eus enfin compris, l’homme avait disparu. Je ne me rappelle que de l’envol d’une nuée d’oiseaux. Cet homme, chère amie, c’était moi et son mal-être portait notre sceau.